une putain de belle fête

Une putain de belle fête. De celles dont ils nous avaient habitués depuis qu’ils étaient ensemble. Un peu plus de dix-sept ans déjà. Nous les avions connus jeunes. Il avait les cheveux longs, roulait en moto. Elle cachait de grands yeux bleus derrière la fumée de ses gauloises blondes légères. Leur grande maison et leurs trois enfants étaient le gage de leur couple. Pas mariés pas pacsés. Les années s’étaient écoulées sans que jamais ils ne soient passés devant le maire. Ils n’en voyaient pas l’utilité, et avaient laissé passer le temps, souriant toujours de ce mariage sur lequel on les attendait. À quoi bon…

Mais ce jour-là, c’était le bon. Pas un de ces mariages tout à fait traditionnels. Pas de famille, si ce n’est leurs frères et sœurs. Un mariage de potes, un week-end de fête, à l’image de ceux qu’on avait connus, régulièrement, pour fêter une naissance, pendre une crémaillère, célébrer le passage à l’an 2000.

Chacune de leurs noubas était l’occasion d’élargir le cercle. Le noyau dur de leurs amis s’était étoffé au fil des années. Aux potes de lycée s’étaient greffés les potes de la fac. De nouveaux amis avaient rejoint le répertoire de ce qu’ils nommaient leurs festi-chouilles. Sans compter les électrons libres, voisins, collègues de boulot, connaissances en tout genre, qui petit à petit étaient venus se greffer aux différents groupes constitués, s’intégrant aisément dans ces libations, autour d’une bouteille. À force de vider ces flacons, tout ce petit monde avait fini par bien se connaître. Vingt-quatre heures plus tard, chacun regagnait ses pénates, jusqu’à la fois prochaine.

Ce moment où l’on se retrouvait avec un gamin de plus, des paraphes nuptiaux signés en bonne et due forme, était toujours débordant d’une certaine liesse. Ceux que l’on avait quittés un an, deux ans plus tôt, dans cette grande maison, on prenait plaisir à les retrouver, même avec quelques rides de plus. On ne roulait plus de pétards, ou si peu, on changeait les couches de nos chiards. On ne jouait plus de guitare, on parlait d’emprunt de maison, de crédit d’impôts. Pour autant, à partir d’une certaine heure, on retrouvait nos vingt ans ou presque.

Pour ce mariage, la plupart des potes avaient fait le déplacement. Tous ces gens connus de près ou de loin étaient restés fidèles. La tribu au grand complet. De nouvelles têtes avaient fait leur apparition, dans la nonchalance estivale des premières heures de fête. La nuit et les excès qu’elle recèle feraient le reste. Les langues se délieraient avec les verres.

Nous n’avions pas été conviés à la mairie. Pour tout dire, la surprise avait été totale puisque c’est à notre arrivée, dispersée, que nos hôtes nous avaient tour à tour annoncé cette union enfin officialisée. Un mariage fantôme.

Une fois toute cette petite galaxie réunie, au milieu de cet apéro géant qui commençait à durer, ils ont pris la parole. Et nous ont présenté les témoins de leur mariage. Deux inconnus. Finalement, ça leur ressemblait assez. Ils ne voulaient rien de solennel, ils n’avaient donc pas opté pour les proches.

Une jolie brune, témoin du marié. Un homme aux yeux qui pétillent, témoin de la mariée. On connaissait désormais leur prénom. Puis on a tous levé notre verre, avant une embrassade générale. Les deux témoins s’étaient montrés chaleureux et discrets. Le bonheur de se retrouver avait fait le reste. Au petit-déjeuner, leur présence justifiait leur rang de fêtards avertis. Ils avaient acquis leur billet dans ce cercle hétéroclite et pourtant convivial. Nous les reverrions donc à la prochaine occasion.

Un mois plus tard, tous les invités recevaient par mail des remerciements émus. Ce message annonçait aussi la séparation des « just married ». Une séparation d’un commun accord. Le mariage n’avait été qu’une formalité pour éviter tout dérapage. Une manière de régulariser les choses avant de passer à l’étape suivante : le divorce, et le partage des biens… Conscients que leur union libre ne les protégeait pas, ils avaient franchi le cap du mariage dès qu’ils avaient senti que le cocon familial était en péril. De manière à ce que tout le monde soit assuré de s’y retrouver dans ce passage délicat. Les témoins de ce mariage n’étaient autres que l’homme et la femme avec lesquels ils avaient respectivement commencé à refaire leur vie.

On garde tous un drôle de souvenir de cette union célébrée avec dignité alors qu’elle sonnait creux. La seule mauvaise nouvelle, c’est qu’il y a peu de chances pour que la tribu soit un jour réunie autour d’eux, pour une nouvelle putain de belle fête.

une putain de belle fête